Dans l’Antiquité (jusqu’au IVe siècle)

Dans l’Antiquité (jusqu’au IVe siècle)

 

La plupart, sinon la totalité, des sociétés méditerranéennes ont pratiqué l’esclavage pour des raisons avant tout économiques.

C’est en Mésopotamie qu’on trouve les plus anciennes traces écrites de l’esclavage. Mais c’est avec la Grèce et plus encore avec l’Empire romain que le système esclavagiste connaîtra son essor le plus important, non sans controverses et critiques, mais sans que jamais son principe ne soit remis en cause.

Il n’y a pas eu, dans l’Antiquité, de mouvement « abolitionniste ».

 

La Mésopotamie

C’est en Mésopotamie qu’on trouve les plus anciennes traces écrites de l’esclavage. À cette époque, l’économie s’appuie plus souvent sur des formes de dépendance que sur l’esclavage.

La première source d’approvisionnement est la guerre, mais il arrive parfois que ce soit la conséquence d’une décision judiciaire, d’un achat à des marchands étrangers, ou celle de la vente d’un membre de la famille pour cause de dette, de pauvreté.

Le statut de l’esclave est strictement défini : il perd l’autonomie juridique de sa personne. Son propriétaire peut le vendre ou le donner, et ses enfants en héritent. Les esclaves sont physiquement marqués afin d’être identifiés. Ces signes varient selon les époques : coiffure, tatouage et parfois menottes, fers, cangues de bois. L’affranchissement est rare et la législation concernant les tentatives d’évasion particulièrement sévère.

À partir du XVIIIe siècle avant J.-C., la situation économique se dégradant, une nouvelle forme d’esclavage va se développer : l’esclavage pour dette, que le pouvoir royal s’efforcera se rendre réversible, notamment en publiant régulièrement des édits royaux de rémission abolissant les dettes et permettant à chacun de revenir à son état antérieur.

Le plus souvent, l’esclave travaille au service de la famille de ses propriétaires, les familles les plus riches pouvant compter jusqu’à 10 esclaves. Le propriétaire organise parfois des mariages d’esclaves pour augmenter sa domesticité. Ils peuvent exercer des activités spécialisés (cuisine, habillement, ameublement). Les plus doués peuvent avoir un mode de vie assez proche de leur maître, posséder des terres et même… posséder des esclaves.

La Grèce antique

Les tablettes de Pylos et de Cnossos attestent de la présence d’esclaves dans la Grèce ancienne de l’âge de bronze, vers le VIIIe siècle avant J.-C. Il semble que certains appartenaient à des maîtres et d’autres à une divinité.

Ces esclaves, qui étaient capturés ou achetés, pouvaient être vendus et jouaient un rôle économique. Cette situation se perpétue à l’époque homérique, où la Grèce se fractionne en petites communautés. C’est durant cette phase de grands changements – et de grands conflits – et de définition progressive de la cité que se préparent les bases d’une société esclavagiste.

À Athènes, au début du VIe siècle avant J.-C., un ensemble de lois édictées par Solon rabaissent l’esclave à l’état d’un objet, en opposition radicale avec la notion émergente de citoyen. L’esclave est un bien qui se monnaie sur le marché où commencent à se dessiner des sources d’approvisionnement en Asie mineure et en mer Noire. À la fin du VIe siècle, l’esclave est devenu un objet de transaction, un statut autant qu’un outil de travail.

Ne se possédant rien, le statut de l’esclave reste celui d’un être humain. L’esclave porte le nom de son maître, mais n’a ni personnalité ni responsabilité juridique. Il semble qu’il n’en perde pas pour autant toute sa condition sociale. Une participation à la vie religieuse, la possibilité d’exercer certaines responsabilités dans le domaine de la banque ou de l’échange, témoignent de la reconnaissance de l’esclave comme être social, même si ce n’est pas sans limites ni ambiguïtés.

Ces esclaves, dont on ignore le nombre exact, sont d’abord des captifs, provenant de guerres, dont les prix varient en fonction de l’âge, de l’origine, des qualités et aptitudes, mais aussi du jeu de l’offre et de la demande locale. À Athènes, à la fin Ve siècle, les esclaves représentent un tiers de la main d’œuvre qualifiée. A la campagne, les exploitations agricoles ou les ateliers d’artisan employaient parfois plusieurs dizaines d’esclaves, et en Attique, dans certaines mines, les esclaves se comptaient par centaines.

Avec l’augmentation du nombre d’esclaves se développe l’affranchissement comme moyen classique de sortir de l’esclavage. Presque toujours consenti par le maître, il suppose un prix de rachat au moins égal à la valeur marchande de l’esclave, ce qui limite l’accès à la liberté aux esclaves pouvant se constituer des économies.. Pour les autres, la fuite – entreprise risquée pour le fugitif qui est repris – est le seul moyen de recouvrer la liberté.

L'empire romain

Rome a entretenu avec l’esclavage une relation à la fois directe et ambiguë. L’esclavage y est présent dès les premiers temps de la Rome antique jusqu’à la chute de l’empire.

Mais le rapport et la place de l’esclave furent marqués par un rapport ambigu :

  • D’une part, les Romains considèrent comme Barbares ceux qui n’appartiennent pas au monde culturel gréco-romain. Certains auteurs latins insistent sur la sauvagerie des peuples barbares de Gaule et de Germanie et manifestent parfois une attitude intolérante en soulignant les différences des modes de vie entre Romains et Barbares, ce qui est commun à tous les peuples.
  • D’autre part, le groupe des esclaves, d’abord coupé des hommes libres, finit par rejoindre celui de tous les hommes dans une situation de dépendance. L’affranchissement n’est pas rare et peut résulter de plusieurs modes, officiels ou non. Les affranchis forment un groupe social identifié et organisé. Ils deviennent citoyens de pleins droit.

Les premiers livres de l’histoire romaine fourmillent de mentions relatives à l’esclavage pour la période royale et les premiers temps de la République. Issu de guerres locales, de condamnations ou de dettes, il s’agissait essentiellement d’un esclavage de type domestique et artisanal, intégrant parfois l’esclave au sein de la vie familiale.

Avec la dynamique de la conquête, l’esclavage de masse se substitue à l’esclavage de proximité et les modes d’approvisionnement évoluent par le biais de conquêtes ou de vastes opérations de piraterie alimentant des marchés en plein effervescence. La demande est renforcée par l’apparition et le développement de grandes propriétés rurales (familiae rusticae) qui ont recours à plusieurs milliers d’esclaves.

À l’exception de quelques domaines interdits (magistrature, prêtrise, légion…), les esclaves participent peu à peu à tous les domaines d’activités, d’abord dans l’agriculture, puis dans les productions industrielles liées à l’extension de l’Empire : fabrication d’amphores, textile, verre, céramique, métallurgie…

Mais, malgré leur nombre et leurs tentatives de révoltes, ils demeurent esclaves, toujours perçus comme des êtres inférieurs. Après Platon et Aristote, Sénèque souligne ce paradoxe : l’esclave utilisé comme une chose est aussi un être humain.

Justifications et remise en question

Pour les sociétés de l’antiquité, l’esclavage est une réalité que l’on n’a jamais pensé à abolir. C’est une évidence, une nécessité économique pour produire et alléger le travail des hommes libres.

Le mot esclave est issu du nom d’une région de l’Europe de l’est, la Slavonie. Les esclaves provenaient de tous les continents.

Seule une société idéale pourrait se passer d’esclaves

Vers la fin du Ve siècle av. J.-C., Hippocrate rédige « Des airs, des eaux, des lieux », qui établit pour la première fois de manière claire la théorie environnementaliste qui classe les groupes humains en fonction de leur situation géographique et en déduit des traits de caractère collectifs immuables : Plus les peuples s’éloignent d’un centre idéal – dont Aristote montra un peu plus tard que c’était la Grèce égéenne – vers les extrémités de la Terre habitée, plus leurs caractères se dégradent vers de la mollesse ou de la barbarie. L’esclavage puise ici sa légitimité fondée sur une conception de la nature.

Mais d’autres, comme Euripide dans son théâtre, pensent que la puissance du maître sur l’esclave est contre nature puisque ce sont les circonstances qui font de l’un, un esclave et de l’autre, un libre, et que de ce fait, il peut y avoir contradiction entre le statut et la valeur d’un individu. Ces auteurs invitant à un « bon » usage de l’esclavage, à une relation maîtrisée entre un maître qui doit éviter les excès de pouvoir et un esclave soumis et obéissant.

Si l’idée que tous les hommes appartiennent à une même race, qu’ils soient grecs ou barbares, il demeure que, par exemple chez les Sophistes, pour les Grecs, dans une société normale, il y a des esclaves.

Rome

La société romaine est plus ouverte que la société Grecque. Elle permet à l’esclave de sortir de sa condition initiale pour rejoindre le corps civique selon certaines conditions.

La théorie de l’esclavage, par nature, traverse son histoire et reste un sujet de controverse jusqu’à la fin de l’Antiquité, notamment chez les auteurs chrétiens (Origène, Lactance, Augustin…). Deux tendances fortes se dégagent :

  • La première, liée à l’héritage grec, postule l’acceptation de l’esclavage comme un état de fait. Son existence n’est pas remise en cause et l’objectif est de l’utiliser au mieux des intérêts de la cité et des propriétaires. Cette tendance trouve un écho remarquable avec le développement des grandes exploitations rurales (familiae rusticae) : l’économie rurale repose sur l’exploitation maximale des esclaves, ainsi que sur la rationalisation des tâches. Sous la pression de la critique politique et morale, la situation de l’esclave évolue par la suite, sans que jamais jusqu’à la fin de l’Empire ne soit remise en cause la réalité de l’esclavage.
  • La seconde se fonde sur le fait qu’un esclave est tout à la fois une res (une chose) et une persona avec une qualitas. Cette tendance, qui insiste sur l’ontologique humanité de l’esclave et la nécessité d’en tenir compte, intègre par ailleurs un esclavage métaphorique soumettant l’homme à ses passions. Les stoïciens négligent ainsi l’esclavage au profit de la vertu, suivis par les chrétiens qui le font au profit du salut. Cette tendance développe une conception où le comportement plus correct des maîtres doit être maîtrisé dans ses passions, sans jamais en remettre en cause le principe.

À la fin de l’antiquité…

Le maître opère toujours en fonction de l’autorité qui lui est conférée, que ce soit par la tradition, par les usages, par l’histoire ou par la prescription divine, et l’esclave reste en pratique sous la tutelle du dominus. Cette réalité laisse à penser qu’il n’y a jamais eu, dans l’Antiquité, de mouvement « abolitionniste ».

L'esclave est au maître ce que le corps est à l'âme

« Tous les êtres donc qui sont aussi différents des autres que l’âme l’est du corps et l’homme de la brute (tel est le cas de tous ceux dont l’activité se réduit à user de leur corps et qui tirent par là le meilleur parti de leur être) sont par nature esclaves : mieux vaut pour eux, tout comme dans les cas mentionnés, être soumis à ce genre d’autorité. Ainsi celui-là est esclave par nature qui peut appartenir à un autre (aussi lui appartient-il en fait) et qui n’a part à la raison que dans la mesure où il peut la percevoir, mais non pas la posséder lui-même. Les autres animaux ne perçoivent pas la raison, mais obéissent à des impressions. Quant à leur utilité, la différence est mince : esclaves et animaux domestiques apportent l’aide de leur corps pour les besognes indispensables. »

Aristote, Politique, livre I, chapitre V, 6-9, traduction Jean Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres, 1968, p 19-20.