Avec Lilian Thuram à Toubab Dialaw

Avec Lilian Thuram à Toubab Dialaw

« Parler pour faire reculer la nuit de l’humanité. Chantant “Strange fruits”, Mayliss rappela que seule l’éducation peut faire barrage au racisme. »

Marcel Leroy

Dans son recueil de poèmes consacré au village de Toubab Dialaw, Gérard Chenet nous envoie ce message…

“Je chanterai, nous chanterons/ Jusqu’à ce que soit hissée une couleur de paix au mât de la cité”.

Photo du groupe en 2014_recadré

Le groupe et ses accompagnateurs

Journaliste, écrivain, militant de la liberté, homme de théâtre, sculpteur, Gérard a construit son rêve au bord de l’océan Atlantique. L’espace Sobo Badé se décline en une série de bâtisses faites de marbre, de galets, de paille et de verre, et des arbres y poussent au milieu des pierres. Des tamariniers où se posent des oiseaux de toutes les couleurs, face aux vagues et dans le sillage du vent. Au départ, explique le poète architecte, il n’y avait qu’une cabane plantée en pleine nature…

Fin juillet, dans ce village de pêcheurs du Sénégal, à quarante bornes au sud de Dakar, Wajdi Mouawad et les jeunes qui auront 20 ans en 2015 ont vécu leur quatrième grand voyage. En 2015, ils accompliront le dernier épisode d’une expérience intense.

Après Athènes, où ils approchèrent l’écriture et la tragédie, puis Lyon où ils étudièrent l’imprimerie et les livres, Auschwitz où ils apprirent la mémoire et le témoignage, en Afrique ils venaient à la rencontre de l’autre, pour écouter, et parler.

Cette fois, pour compagnon de route, Wajdi Mouawad avait fait appel à Lilian Thuram, grand sportif et militant engagé dans la lutte contre le racisme par l’éducation. Sans relâche, depuis 2008, avec sa fondation, Lilian va dans les écoles, au bord des terrains de foot, dans les prisons, partout où il peut faire passer le message du respect de l’autre. Une mission dont l’urgence se vérifie chaque jour, quand on s’arrête sur l’actualité pour prendre du recul.

Foot sur la plage avec les jeunes du village

Alors que les souvenirs de cette semaine se confondent dans les mémoires, quelles traces conserver de ce qui fut dit et vécu, à Toubab Dialaw, pour ces cinquante jeunes venus de Mons, Nantes, Montréal, Namur et de La Réunion?

Les uns et les autres fermeront peut-être un instant les yeux pour se concentrer et laisser revenir des images et des paroles, des moments plus forts que d’autres même s’ils furent brefs.

Sans doute sur la plage les empreintes des pas des joueurs de foot se sont-elles effacées mais le sens des rencontres qui réunirent voyageurs et jeunes du village en matchs épiques persistent dans les esprits.

Lilian, avec sa haute silhouette, solide mais souple, en short, avec son petit chapeau, allant au petit trot avec les jeunes soudés par la pratique du sport, riait de bon coeur en montrant que tous les êtres sont égaux. S’il est une étoile, ce n’est sans doute pas en raison de son talent de footballer mais pour sa manière d’aller vers autrui. Directe. Sans chichis. Avec une sensibilité qu’éclipse un humour au second dégré jamais en veilleuse.

Chaque jour, avant le crépuscule, sur la plage de Toubab Dialaw, des jeunes venus de villes lointaines, aux cultures différentes, réalisaient qu’ils étaient tous les mêmes, courant derrière le ballon en ressentant le bonheur d’une forme d’harmonie.

Le respect et la reconnaissance résultent de la vraie rencontre.

“On ne naît pas raciste, on le devient”

Quand les jeunes ne jouaient pas au foot avec leurs copains du village, ils allaient au bout des mots en participant aux ateliers de théâtre de Wajdi Mouawad. L’idée était de partir des mots pour prendre conscience de leur vérité et de la faire vivre, de la transmettre, en groupe. Chacun étant différent mais dans un corps commun. Bref, c’était la vision d’une troupe de théâtre dont chaque élément puisait au fond de son expérience pour animer les mots et les partager.

Cet atelier théâtral réunissait gens du village et voyageurs. Comme sur la plage, derrière le ballon. Et, un soir, dans ce lieu protégé du reste de l’espace Sobo Badé, Lilian Thuram vint parler de son projet au départ du livre “Mes étoiles noires”.

Ce fut un bel échange. Un vrai débat. Une prise de conscience. Né à La Guadeloupe en 1972, dans une famille pauvre, Thuram a accompli un long chemin pour devenir champion du monde, avec les Bleus, en 1998, puis poursuivre une carrière mondiale qui ne lui a pas donné le gros cou.

Il dit que la culture joue un rôle majeur dans le développement d’un être. “On ne naît pas raciste, on le devient”.

Il confia n’avoir jamais reçu en exemple, lors de sa jeunesse, lors de son éducation, l’histoire d’une personne à la peau noire. Comme si le monde était vu au travers d’un filtre ne laissant passer que le blanc. Couleur abstraite d’un type de peau. Tous les gosses savent que l’on est plus rose que blanc, quand on est blanc. Idem pour les noirs. A vrai dire, les humains incarnent une infinité de nuances entre le blanc, le noir et les autres couleurs… Sous la peau, le sang de tous est rouge. Lilian a publié ce livre, “Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama”; il retient les destinées de personnes qui ont éclairé l’humanité et dont le trait commun était d’avoir la peau noire. Cet ouvrage est tout sauf une manière d’exclure. Il complète le puzzle d’une approche culturelle manquant d’ouverture, en raison d’un point de vue trop étroit.

Un homme à l’écoute

Je retiendrai de Lilian la manière dont il écoute. Réussissant, dans le groupe des jeunes, quand il le fallait, à reconnaître une attente. Ce qui ne l’empêchait pas d’être ouvert aux autres. Lilian, pareil à Wajdi, en ce sens. Disponible, sans aucune attitude de supériorité, due à l’âge, à la réussite, à la gloire, à une forme de certitude.

Pour toutes ces raisons, le voyage à Toubab Dialaw, avec ses échanges de vues, ses éclats de rires, ses émotions, ses courses folles le long de la plage, ses discussions à n’en plus finir après les repas de riz et de poisson, ses rencontres chez les gens du village, autour d’un thé, et les émotions de l’atelier théâtre, dans un embrasement de soleil et de vent, restera un moment rare. Qui se termina par des embrassades et des larmes, parfois.

L’espace de quelques jours en juillet de l’an 2014, une fraternité a réuni des êtres de tous les horizons et c’est précieux.

Et j’entends la voix de Mayliss,- au terme de l’exposé de Lilian, suivi du long débat -, de Mayliss chantant d’une voix émue, “Strange fruits” de Billie Holliday.

L’histoire de cette artiste qui défia le racisme avec un blues qui va droit au cœur figure dans le livre de Lilian. Tout était dit, avec cet hymne, ce soir-là. Tout ce qui s’est passé à Toubab Dialaw.

Parler pour faire reculer la nuit de l’humanité.

Marcel Leroy

Pour en savoir +